Qu’est-ce que le collodion humide?

Un peu d’histoire

1822. Le français Nicéphore Niépce invente le premier procédé photographique en exposant à la lumière une plaque de verre recouverte de bitume de Judée. C’est alors le début d’une folle épopée où de nombreux inventeurs apporteront leur contribution. Mais un problème majeur persiste dans les différents procédés photographiques qui voient le jour jusqu’au milieu du 19ème siècle : le temps de pose, bien que se raccourcissant au fil des découvertes, reste très long. Jusqu’à plusieurs minutes pour un daguerréotype.

En 1851, le Britannique Frédéric Scott Archer remplace l’albumine, utilisée pour créer l’émulsion photosensible, par un produit découvert 5 ans auparavant, composé de nitrate de cellulose, d’éther et d’alcool : le collodion.

Cette découverte révolutionne la pratique de la photographie en permettant d’obtenir des images très détaillées, avec une gamme de tonalité étendue. Le tout avec un temps de pose réduit : quelques secondes seulement pour un sujet exposé à la lumière naturelle en pleine journée.

C’est alors le début d’une succession d’avancées technologiques où la photographie deviendra peu à peu une industrie puis une composante majeure de l’histoire de l’humanité. Dès les premières années qui suivirent la publication des travaux de Scott Archer (et du français Gustave le Gray qui revendiqua la paternité du procédé un an avant) le collodion fût largement employé pour documenter des événements historiques telle la guerre de Crimée (photographier par le Britannique Roger Fenton), la guerre de sécession (avec le travail de Mathew Brady) ou encore la commune de Paris. Ce fut néanmoins un outil de propagande redoutable où il était facile de duper l’opinion en produisant des photomontages comme l’on fait certains photographes lors de la commune de Paris.

Sels d’argent

Le collodion est composé de nitrate de cellulose, d’alcool et d’éther. De consistance sirupeuse lorsqu’il est sous forme liquide, il forme un film adhérant à la surface sur laquelle il est appliqué lorsque les solvants s’évaporent. C’est cette propriété adhésive qui permet de fixer le nitrate d’argent de manière uniforme sur la plaque.

Pour obtenir une solution photosensible, on adjoint au collodion des sels tels l’iodure et le bromure de potassium qui réagiront avec le nitrate d’argent pour former les halogénures d’argent sensibles à la lumière.

Une fois le collodion délicatement étalé sur une plaque de verre ou de métal, on plonge celle-ci dans un bain de nitrate d’argent pour la rendre photosensible. Au bout de 3 minutes environ, la plaque peut-être extraite du bain d’argent. Elle est maintenant sensible à la lumière et doit alors être manipulée en lumières inactinique (c’est-à-dire en lumière rouge, car le collodion ne réagit pas à la lumière rouge.). On l’installe ensuite dans un châssis étanche à la lumière qui sera ensuite chargé dans la chambre photographique. La plaque est alors exposée comme on le fait habituellement avec ce type de matériel.

Révélation

Une fois la plaque exposée, on retourne en chambre noire sous la lumière rouge pour développer l’image avec une solution composée de sulfate de fer, d’alcool et d’acide acétique. Après avoir versé une petite quantité de ce révélateur sur la plaque, l’image apparaît en négatif. La réaction de développement est alors stoppée à l’eau distillée.

La plaque peut maintenant être manipulée en pleine lumière et placée dans le fixateur, une solution de thiosulfate de sodium qui dissout les sels d’argent qui n’ont pas été exposés à la lumière.

C’est le moment de magie du collodion, l’instant où l’image se dévoile à mesure que l’on agite la cuve de développement. C’est ce qui rend ce procédé unique, car la plaque doit être développée dans les quinze à vingt minutes qui suivent la coulée du collodion, avant qu’il ne sèche. C’est pour cette raison que ce procédé s’appelle le collodion humide.

Ambrotype et ferrotype

Une photographie au collodion humide peut être réalisée sur deux types de supports :

• On peut utiliser une plaque de métal recouverte de peinture ou de laque noire. On obtient alors directement une image positive. C’est le ferrotype (ou « tintype » pour les Anglo-Saxons). Le fer était autrefois largement utilisé pour les ferrotypes, mais est aujourd’hui remplacé par l’aluminium, qui a l’avantage de ne pas se corroder.

• l’autre support couramment utilisé est une plaque de verre d’environ 2 à 3 millimètres d’épaisseur. On obtient alors une image qui apparaît en négatif lorsque qu’on la regarde par transparence et devient positive si on place un fond noir derrière la plaque de verre. C’est ce que l’on appelle un ambrotype.

Mais il est possible d’utiliser les épreuves sur verre comme négatif pour réaliser des tirages papier soit par contact (tirages au papier salé, albuminé, tirages au charbon par transfert ou planches-contacts sur papier au gélatino-bromure) ou bien en utilisant un agrandisseur comme pour un tirage noir et blanc classique.

Vernissage

Pour que les épreuves au collodion humide ne se dégradent pas dans le temps, on les protège en y appliquant un vernis. Si de nos jours il est possible d’utiliser des vernis synthétiques comme l’acrylique, les photographes pratiquant le collodion préfèrent employer les vernis traditionnels comme la gomme Sandaraque, une résine issue d’une variété d’acacias ou la gomme laque obtenue à partir de la sécrétion de la cochenille de l’espèce Kerria lacca que l’on trouve dans les forêts d’Asie du sud-est.

Pour ces deux types de vernis, les copeaux de résine solide sont dissous dans l’alcool avec une petite quantité d’huile essentielle de lavande pour éviter que le vernis ne devienne cassant. Le vernissage se fait en coulant le vernis sur la plaque. Celui-ci est ensuite durci en chauffant délicatement la plaque avec une lampe à alcool.

Les ambrotypes et ferrotypes vernis sont certainement les épreuves photographiques les plus durables que l’on connaisse à ce jour. Il existe de nombreuses photographies au collodion humide faites au milieu du 19ème siècle qui nous sont parvenues quasiment intactes.

Déclin puis renaissance.

Le collodion humide marqua la deuxième moitié du 19ème siècle. Grâce à ce procédé, il était enfin possible d’illustrer et de documenter de manière fidèle divers sujets et notamment les événements historiques.

Mais bien que révolutionnaire, le collodion présentait un désavantage majeur : il fallait développer les photos dans les vingt minutes qui suivaient la prise de vue, ce qui imposait de disposer d’une chambre de développement (étanche à la lumière du jour) sur place. Cet inconvénient poussa les chercheurs à trouver une solution pour remédier à ce problème. Suite aux travaux de Richard Leach Maddox en 1871 avec les plaques sèches de gélatino-bromure, Charles Harper Bennett proposa en 1878 une solution pour améliorer les performances de ce nouveau procédé.

Une nouvelle révolution était en marche : les supports photosensibles pouvaient maintenant être produits en masse, stockés sur de longues périodes avant et après exposition. Ils étaient beaucoup plus sensibles et permettaient de figer les sujets en mouvement et surtout, ils ne nécessitaient pas un développement sur place, mais pouvaient être révélés plusieurs mois après la prise de vue. Il était évident que la pratique du collodion humide allait décliner face à une telle révolution.

Le collodion humide ne s’éteignit toutefois pas totalement puisqu’il fut utilisé jusque dans les années 50 en photogravure. À l’aire du tout numérique, le collodion humide (ainsi que les autres procédés argentiques) connaît un regain de popularité. Il permet aux photographes de revenir aux origines de la photographie avec une pratique exigeante et artisanale. C’est aussi un procédé qui permet de renouer avec la tradition du portrait. Une séance au collodion n’est pas un instant anodin comme l’est une photo d’identité dans un photomaton. C’est un moment spécial que l’on s’offre pour immortaliser les membres de la famille, une occasion pour laquelle on se met sur son 31 pour laisser un beau souvenir à ses proches et aussi un moment magique lorsque la photo apparaît lentement lorsque la plaque est baignée dans le fixateur.